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Les rues à sens unique dans les centres-villes reçoivent un regard critique. Les responsables de la ville et les urbanistes ont lancé un mouvement visant à convertir les réseaux de rues du centre-ville de leur fonctionnement traditionnel à sens unique à un fonctionnement à double sens. Cet effort semble être largement couronné de succès – de nombreuses villes (par exemple, Denver, CO ; Dallas et Lubbock, TX ; Tampa, FL ; Des Moines, IA ; Salina, KS ; Kansas City, MO ; Sacramento, CA) ont récemment effectué ou sont en train d’effectuer de telles conversions. Ces conversions sont destinées à améliorer l’accès des véhicules et à réduire la confusion des conducteurs. De nombreux autres facteurs entrent en ligne de compte dans cette décision, mais la prémisse générale est claire : les voyageurs et les résidents préfèrent les rues à double sens pour diverses raisons économiques et d’habitabilité, tandis que les ingénieurs de la circulation et les planificateurs des transports croient que les rues à sens unique servent le trafic plus efficacement.
Notre étude utilise un modèle de réseau de circulation idéalisé pour comparer directement l’efficacité des réseaux de rues à sens unique et à double sens. Elle constate que les rues à double sens peuvent servir le trafic de manière plus efficace, en particulier lorsque les déplacements au sein du réseau sont courts.
Les réseaux de rues à double sens augmentent l’activité économique et la vivabilité
La littérature actuelle sur la conception des réseaux de rues urbaines souligne que les rues à double sens créent des niveaux plus élevés d’activité économique et améliorent la vivabilité des centres-villes. Par exemple, les rues à double sens sont meilleures pour les entreprises locales qui dépendent fortement du trafic de passage. De plus, la synchronisation des feux de circulation dans les rues à double sens oblige les véhicules à s’arrêter plus fréquemment que dans les rues à sens unique, ce qui donne aux conducteurs une plus grande exposition aux commerces locaux.
Les rues à double sens se sont également avérées plus sûres que les rues à sens unique, pour plusieurs raisons. Bien que les intersections des rues à double sens présentent plus de manœuvres conflictuelles, les rues à sens unique sont corrélées à une diminution des niveaux d’attention des conducteurs. Les rues à sens unique permettent également des vitesses de déplacement plus élevées, car la synchronisation des signaux entraîne des arrêts moins fréquents pour les véhicules. Les piétons préfèrent également traverser les rues à double sens puisque les conducteurs ont tendance à y circuler plus lentement et que les conflits entre véhicules sont plus prévisibles.
Un réseau à sens unique peut empêcher les conducteurs d’approcher leur destination par la direction la plus logique. Cette incertitude peut intimider les conducteurs et, dans certains cas, les faire hésiter à revenir.
Les visiteurs du centre-ville, qu’ils arrivent en voiture ou en transport public, préfèrent les réseaux de rues à double sens aux réseaux de rues à sens unique parce qu’ils sont moins déroutants. Les visiteurs qui circulent dans un réseau quadrillé à double sens peuvent facilement s’approcher de leur destination depuis n’importe quelle direction. Un réseau à sens unique peut empêcher les conducteurs d’approcher leur destination depuis la direction la plus logique. Cette incertitude peut intimider les conducteurs et, dans certains cas, les faire hésiter à revenir. De même, les rues à double sens permettent de localiser plus facilement l’arrêt de transport en commun pour un trajet de retour du centre-ville – dans la plupart des cas, l’arrêt de bus est simplement situé de l’autre côté de la rue. Sur les réseaux à sens unique, cependant, l’arrêt pour le retour se trouve généralement sur une autre rue, ce qui peut dérouter les visiteurs et les amener à se perdre.
En outre, les réseaux de rues à double sens permettent aux conducteurs d’emprunter les itinéraires les plus directs de l’origine à la destination. Considérons, par exemple, le trajet illustré à la figure 1a entre l’origine O et la destination D. Dans un réseau à double sens (illustré par les flèches qui indiquent le sens du déplacement), le conducteur peut emprunter le chemin le plus direct de O à D. Comparez cet itinéraire au même trajet sur un réseau à sens unique, comme le montrent les figures 1b et 1c. Le conducteur peut avoir à parcourir une distance supplémentaire à l’origine (comme dans la figure 1b), à la destination (comme dans la figure 1c), ou aux deux. Ainsi, l’utilisation de réseaux de rues à sens unique accroît la distance moyenne à parcourir entre deux points d’origine et de destination, ce qui se traduit par une augmentation du nombre de véhicules-kilomètres parcourus (VMT). L’augmentation des VMT signifie une augmentation de la consommation de carburant, des émissions et de l’exposition aux accidents.
Les réseaux de rues à sens unique augmentent le flux de véhicules
Les réseaux de rues à sens unique ont un avantage critique par rapport aux réseaux de rues à double sens : ils éliminent les manœuvres conflictuelles de virage à gauche aux intersections. Cet avantage est crucial car les virages à gauche réduisent le débit maximal de véhicules aux intersections. Par exemple, les véhicules qui tournent à gauche et qui sont mélangés au trafic de transit doivent attendre un espace dans le trafic opposé et peuvent bloquer les véhicules en amont qui attendent de passer. Des voies séparées peuvent séparer les véhicules tournant à gauche des autres véhicules afin de réduire ce blocage, mais cette stratégie réduit également l’espace disponible pour que les autres véhicules puissent traverser l’intersection. Les feux de virage à gauche dédiés peuvent être utilisés pour éliminer le blocage, mais leur présence entraîne une synchronisation plus complexe des feux et augmente le temps perdu pour le déplacement des véhicules à l’intersection. Puisque les intersections limitent les flux maximaux du réseau, il s’ensuit que les réseaux de rues à sens unique peuvent desservir des flux maximaux du réseau plus élevés (c’est-à-dire avoir une capacité de déplacement des véhicules plus élevée) que les réseaux de rues à double sens.
La réduction de la capacité des véhicules diminue l’efficacité du réseau.
Les opposants à la conversion des rues à sens unique à un fonctionnement à double sens invoquent souvent cette diminution de la capacité de déplacement des véhicules (en plus du coût et de la faisabilité). Bien que les rues à double sens puissent accroître la prospérité et l’habitabilité, les décideurs craignent que la perte de débit des véhicules n’entraîne des périodes de pointe plus longues et plus encombrées, une baisse de la vitesse moyenne des véhicules et une augmentation des retards des véhicules. Ainsi, la réduction des capacités des véhicules diminue l’efficacité du réseau. Pire encore, la congestion découlant de la perte de capacité de déplacement des véhicules peut amener les gens à éviter le centre-ville et contribuer à son déclin en tant que centre d’activité économique et récréative.
La capacité de desserte des trajets : Une meilleure mesure de l’efficacité du réseau
La capacité de déplacer de nombreux véhicules ne reflète pas l’objectif ultime de tout réseau de transport. L’objectif est de permettre aux gens d’atteindre leur destination le plus rapidement possible. Le taux maximal auquel les personnes atteignent leurs destinations, également connu sous le nom de capacité de desserte des déplacements du réseau, reflète plus précisément cet objectif. Toutes choses égales par ailleurs, un réseau avec une capacité de desserte des déplacements plus élevée servira les déplacements des véhicules avec moins de retard.
Par conséquent, même si la recherche actuelle et la sagesse conventionnelle suggèrent que les réseaux de rues à sens unique sont plus efficaces que leurs homologues à double sens, nous montrons que les réseaux à sens unique sont parfois moins efficaces parce qu’ils limitent le taux auquel les gens atteignent leurs destinations. Lorsque c’est le cas, il y a une plus grande incitation à convertir les réseaux de rues traditionnels à sens unique en un fonctionnement à double sens.
Comparaison des réseaux
Nous pouvons directement comparer les capacités de desserte des déplacements de divers réseaux à double sens et à sens unique. Les réseaux de rues à double sens diffèrent dans leur traitement des virages à gauche conflictuels aux intersections. Ici, nous considérons trois traitements pour un réseau avec deux voies de circulation dans chaque direction. La figure 2 montre les configurations d’intersection pour ces réseaux. Le tableau 1 résume les avantages et les inconvénients de ces trois traitements.
Les capacités de desserte des déplacements de ces réseaux varient en fonction de facteurs tels que la distribution de la demande, le cadencement des signaux aux intersections et les schémas d’acheminement des conducteurs. Pour simplifier l’analyse, nous comparons les réseaux dans des conditions idéales, qui comprennent des modèles de déplacement uniformes, des signaux de virage à gauche dédiés qui sont synchronisés pour servir la demande de virage à gauche existante, et le routage le plus direct des conducteurs. Ces conditions idéales facilitent une solution analytique aux capacités de desserte des déplacements des différents réseaux, mais les résultats de cette analyse s’appliquent également aux conditions réelles où ces hypothèses sont relâchées.
La capacité de desserte des déplacements d’un réseau s’avère être un rapport de deux quantités : sa capacité de déplacement des véhicules et la longueur moyenne des déplacements. Le nombre de véhicules qui peuvent traverser une intersection pendant un cycle de signal détermine la capacité de déplacement des véhicules. L’application de la théorie des probabilités à la géométrie du réseau peut nous aider à déterminer la longueur moyenne du trajet en déterminant la distance que les véhicules doivent parcourir compte tenu des restrictions de mouvement. Ces deux quantités, et donc la capacité de desserte du réseau, s’avèrent être une fonction de deux paramètres clés : 1) la distance moyenne entre les origines et les destinations dans le réseau ; et 2) le temps perdu aux feux de virage à gauche. La figure 3 montre le rapport des capacités de desserte des déplacements pour les réseaux de rues à double sens par rapport au réseau de rues à sens unique pour différentes valeurs de ces variables. Ce rapport mesure l’efficacité relative d’un réseau à double sens par rapport à un réseau à sens unique. Les valeurs supérieures à un impliquent que le réseau à double sens dessert les déplacements à un taux plus élevé, tandis que les valeurs inférieures à un impliquent que le réseau à sens unique est supérieur.
Dans la figure 3, les réseaux à double sens qui permettent les virages à gauche ont des capacités de desserte des déplacements plus élevées pour des longueurs de déplacement plus courtes. Lorsque les trajets sont courts, la circulation supplémentaire des réseaux à sens unique est si préjudiciable que la synchronisation plus simple des signaux à l’intersection (et des capacités de déplacement des véhicules plus élevées) ne peut pas compenser la distance de déplacement supplémentaire. En revanche, lorsque les trajets sont plus longs, une synchronisation plus simple des signaux compense le déplacement supplémentaire requis par le réseau à sens unique. Étant donné que la longueur moyenne des déplacements devrait être proportionnelle à la taille du centre-ville, la conversion d’un réseau de centre-ville à sens unique en réseau à double sens peut en fait augmenter la capacité du réseau à desservir les déplacements dans les petites villes. La figure 3 montre également que même si les déplacements sont longs, les réseaux à double sens avec des poches de virage à gauche peuvent offrir des capacités de desserte des déplacements inférieures de 10 % seulement à celles des réseaux à sens unique. La longueur critique du trajet qui sépare les trajets » courts » des trajets » longs » est fonction du temps perdu aux feux de virage à gauche. Plus le temps perdu aux signaux de virage à gauche dédiés est important, plus cette longueur critique de déplacement diminue.
La longueur critique de déplacement qui sépare les déplacements « courts » et « longs » est fonction du temps perdu aux signaux de virage à gauche dédiés.
Notamment, le réseau à double sens avec virage à gauche interdit a toujours une capacité de desserte des déplacements plus élevée, même lorsque les déplacements sont longs. Les deux stratégies offrent la même capacité de déplacement des véhicules (puisque toutes deux éliminent les manœuvres de virage conflictuelles), mais le réseau à double sens avec interdiction de tourner à gauche impose des itinéraires moins détournés que le réseau à sens unique. En fait, la distance supplémentaire à parcourir dans un réseau à sens unique est au moins deux fois supérieure à celle d’un réseau à double sens avec interdiction de tourner à gauche. Cela est physiquement logique puisque les réseaux à sens unique sont plus restrictifs et interdisent plus de mouvements de véhicules. Ainsi, si les virages à gauche sont interdits aux intersections, la conversion d’un réseau à sens unique à un fonctionnement en réseau à double sens peut toujours augmenter la capacité du réseau à desservir les déplacements, même pour les grandes villes dont la longueur moyenne des déplacements est plus longue.
Conclusion
Contrairement à la sagesse conventionnelle et aux manuels de conception, les réseaux à double sens sont souvent plus efficaces que les réseaux à sens unique. Même si les réseaux à double sens peuvent offrir des capacités de déplacement de véhicules inférieures, ils peuvent, dans certains cas, desservir des déplacements à un rythme plus élevé. Cette capacité à desservir les déplacements est une meilleure mesure pour prédire les performances du réseau pendant les périodes de pointe. Lorsque les trajets sont courts, les réseaux à double sens qui autorisent des manœuvres de virage conflictuelles ont une capacité de desserte plus élevée que les réseaux à sens unique, car la circulation supplémentaire dans les réseaux à sens unique compense le contrôle plus efficace des intersections. Les réseaux à double sens sont plus compétitifs lorsque la longueur du cycle de signalisation augmente. En outre, les réseaux à double sens qui interdisent les virages à gauche peuvent toujours desservir les déplacements à un taux plus élevé. Bien que les deux stratégies éliminent les manœuvres de virage conflictuelles, les réseaux à double sens qui interdisent les virages à gauche imposent moins de circuités que les réseaux à sens unique.
Cependant, quelle que soit la taille de la ville, la conversion d’une rue à sens unique en une rue à double sens devrait toujours augmenter l’efficacité des réseaux du centre-ville.
Quand ils envisagent de convertir des rues à double sens, les urbanistes et les ingénieurs de la circulation devraient examiner la longueur moyenne des déplacements dans le réseau. L’intuition suggère que la longueur moyenne des trajets tend à être proportionnelle à la taille du centre-ville – les plus grands centres-villes devraient avoir des trajets plus longs. Les petits centres-villes devraient donc examiner attentivement le temps perdu lors de l’installation de feux de virage à gauche dédiés afin de déterminer le type de configuration de réseau bidirectionnel à utiliser. Étant donné que le temps perdu diminue avec la longueur moyenne des cycles, les petites villes ne devraient autoriser les virages à gauche que lorsque les cycles sont longs, et devraient les interdire lorsque les cycles sont courts. Les centres-villes plus importants, quant à eux, devraient également adopter le double sens mais interdire les virages à gauche aux intersections. Cependant, quelle que soit la taille de la ville, la conversion des rues à sens unique en rues à double sens devrait toujours accroître l’efficacité des réseaux du centre-ville. Puisque les résidents préfèrent les réseaux de rues à double sens pour diverses raisons, la conversion d’un réseau de rues à sens unique à un fonctionnement à double sens peut améliorer à la fois l’efficacité et l’habitabilité des villes.
Cet article est adapté de la version plus longue, « Analytical Capacity Comparison of One-Way and Two-Way Signalized Street Networks », publiée à l’origine dans Transportation Research Record.
Lectures complémentaires
Carlos F. Daganzo. 2007. « Urban Gridlock : Modélisation macroscopique et approches d’atténuation « , Transportation Research Part B, 41 (1) : 49-62.
Vikash V. Gayah et Carlos F. Daganzo. 2012. » Analytical Capacity Comparison of One-Way and Two-Way Signalized Street Networks « , Transportation Research Record, à paraître.
Richard W. Lyles, Chessa D. Faulkner, et Ali M. Syed. 2000. Conversion des rues d’un fonctionnement à sens unique à un fonctionnement à deux sens, East Lansing : Michigan State University, Department of Civil and Environmental Engineering.
G. Wade Walker, Walter M. Kulash, et Brian T. McHugh. 2000. » Downtown Streets : Are We Strangling Ourselves on One-Way Networks ? » (Les rues du centre-ville : sommes-nous étranglés par des réseaux à sens unique ? Transportation Research Circular, 501 (F-2) : 1-18.