Le test d’une grande histoire est de savoir si elle est ou non une représentation fidèle de la réalité. Les différents thèmes explorés dans Les Contes de Canterbury nous amènent à nous poser la question d’un bon mariage, de l’emploi le plus approprié dans la vie, et de la nature du savoir (un bon clerc peut-il aussi être une bonne personne ?) et de la justice (vaut-il mieux servir les exigences de la cité ou les affaires personnelles et familiales ? Tous les serments doivent-ils être honorés ?). Dans les Contes, nous sommes invités à considérer quelle histoire, et le poète correspondant, est la meilleure.

Dans la vieille Angleterre, un Franklin était un homme libre de classe inférieure. Il pouvait posséder des terres mais était certainement inférieur à la gentry ou à l’aristocratie. Le Franklin de Chaucer a une barbe « blanche comme une marguerite » et est généralement considéré comme un homme sanguin, vivant dans le plaisir, trempant son pain du matin dans le vin. C’est un épicurien. Il est un modèle d’hospitalité, comme Saint Julien, avec de grandes quantités de nourriture et de vin à son domicile. Le Franklin a également exercé divers métiers, dont celui d’élu au Parlement à plusieurs reprises. C’est peut-être là qu’il a appris l’art de l’interruption lorsqu’il a précédemment interrompu le conte des écuyers.

« Le conte du Franklin » est le douzième conte des Contes de Canterbury de Chaucer, et il se déroule comme suit :

Le Franklin commence son conte par un bref éloge des vieux et « gentils » Britanniques, et il demande pardon parce qu’il est, ironiquement, peu instruit, n’ayant jamais dormi sur le mont Parnasse, ni lu les écrits de Marcus Tullius Cicero.

En Armorique, ou dans le pays qu’on appelle « Bretagne », non loin de la ville côtière de « pendmark » -l’ancienne région de l’ouest de la France peuplée d’Anglais, vit un noble chevalier et sa dame. Elle a pitié de ses nombreuses souffrances et l’épouse. En privé, il accepte de la servir et de prendre soin d’elle dans le mariage, tandis qu’en public, il maintient l’image de souveraineté pour protéger son statut de chevalier. Ainsi, dans la dialectique sur le mariage qui se produit tout au long des Contes de Canterbury, le Franklin a introduit une distinction entre les biens privés et publics, les tensions politiques dans le mariage (en d’autres termes, le Franklin n’est pas d’accord avec l’épouse de Bath). Le mariage exige la soumission et la douce libération de la liberté des deux parties en privé, selon le Franklin.

Le chevalier s’appelle Arveragus de Kayrrud. Il va en Angleterre pendant un an ou deux pour chercher dans les armes une bonne réputation, dans le fait d’être chevalier – car « le livre dit ainsi » (sous-entendu le Franklin se souvient d’un livre. Peut-être est-il plus instruit que ne le montre sa fausse humilité). La femme d’Arveragus s’appelle Dorigen. Elle reste à la maison, affligée par la disparition de son mari. Elle prie Dieu (et non pas l’un des dieux grecs ou romains comme le feront plus tard d’autres personnages) et elle déplore les nombreux rochers traîtres le long de la côte, qui peuvent empêcher les hommes de rentrer chez eux.

Un jour, le 6 mai, elle se rend à une belle fête dans un jardin où un écuyer plein de vie appelé Aurélius,  » un serviteur de Vénus « , avoue son amour pour Dorigen. Prenant pitié, elle dit à Aurélius qu’elle lui donnera son cœur, seulement s’il peut enlever tous les rochers qui bordent le rivage. C’est une offre absurde, mais elle évite ainsi de blesser Aurélius et de le pousser au suicide. Tourmenté par l’absurdité de la promesse, Aurelius prie Apollon, Seigneur Phoebus, et avec un peu d’aide de son frère, Aurelius se rend à Orléans pour consulter un érudit sur la façon de faire disparaître les rochers. À leur arrivée, ils sont immédiatement accueillis par un clerc errant qui leur dit bonjour en latin. Le clerc a pitié d’Aurélius et celui-ci se plonge dans son étude astronomique pour créer l’illusion que les rochers de Bretagne ont disparu. Son travail s’apparente à la « magie » et à l' »astrologie », selon le Franklin. Et lorsque tous les rochers semblent avoir été enlevés, Aurélius se rend chez son amour, Dorigen,

À la fin, tous les personnages se pardonnent : Arveragus, de retour d’Angleterre, pardonne à sa femme et la charge d’accomplir sa promesse, mais quand Aurélius l’entend, il pardonne son serment, et le rusé clerc d’Orléans pardonne également à Dorigen ses dettes croissantes en échange de la ruse astrologique. Le Franklin termine son récit en demandant à ses compagnons de voyage quel personnage est le plus libre à leurs yeux. Ainsi s’achève « Le conte du Franklin »

Selon le Franklin, les savants sont, au mieux, d’habiles filous ; un bon mariage exige une soumission mutuelle l’un à l’autre, tout en donnant publiquement une impression différente ; les serments sont censés être honorés, mais le pardon, plutôt que la dette, est la voie de l’homme supérieur. Pour tenter de répondre à la question posée par le Franklin au groupe, le moins libre des personnages est peut-être Dorigen, car elle fait ses serments sur la base de la « pitié » – elle choisit d’épouser Arveragus par pitié, et elle offre une chance insensée à Aurélius également par pitié. Cependant, à la fin, la pitié est ce qui conduit au pardon accordé par chaque personnage.

Pour cette lecture, j’ai utilisé l’édition Broadview des Contes de Canterbury qui est basée sur le célèbre Manuscrit d’Ellesmere. L’édition Broadview correspond de près au travail du scribe de Chaucer, Adam Pinkhurst.

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