Figure 3. Site original de sensibilisation à l’acide squarique dibutylester sur l’avant-bras droit révélant une dermatite persistante.
Figure 4. Le tibia droit après traitement de sensibilisation et d’élicitation par l’acide squarique dibutylester.
L’épidermodysplasie verruciforme n’a pas de prédisposition particulière en fonction de la race ou de l’emplacement géographique.1,7 Elle est généralement héritée de manière autosomique récessive1,4,7 et a été liée à des mutations dans 2 gènes EV situés sur le chromosome 17 : EVER1/TCM6 et EVER2/TCM8.8 Cependant, environ 25 % des cas d’EV ne sont pas associés à ces mutations génétiques,5,9 comme cela a été démontré chez notre patient. Des mutations autosomiques-dominantes ou liées au chromosome X ont également été rapportées.10 Dans notre cas, une anomalie chromosomique sous la forme d’une translocation chromosomique équilibrée était présente, ce qui est unique. Un lien entre l’EV et la translocation chromosomique équilibrée ne peut être exclu et justifie une enquête plus approfondie.
L’épidermodysplasie verruciforme a été associée à une diminution de l’immunité à médiation cellulaire1,7. Cependant, des facteurs non immunologiques y contribuent probablement, étant donné la rareté des éruptions de type EV dans les troubles de l’immunodéficience11, ainsi que sa fréquente coinfection avec le VPH de type 312 et son association avec EVER1/TCM6 et EVER2/TCM8.8 Des lésions de type épidermodysplasie verruciforme ont été signalées dans plusieurs états d’immunodépression, notamment l’infection par le VIH,13 le syndrome d’immunodéficience variable combinée,14 le déficit en IgM,15 et la lymphocytopénie à cellules T CD4+.11 Les résultats de notre patiente correspondaient à ces derniers critères diagnostiques, car elle présentait un taux de CD4 chroniquement bas de 77 cellules/μL, des titres VIH négatifs et une absence d’explication alternative à la lymphopénie. Ainsi, nous pourrions considérer qu’elle est atteinte d’EV, car un faible taux de CD4 est une association connue. Son état d’immunodéficience pourrait éventuellement être attribué à la translocation chromosomique ; cependant, les loci génétiques entourant la translocation chromosomique n’ont pas été identifiés à ce jour, ce qui laisse cette hypothèse non étayée. Néanmoins, chez notre patient, par ailleurs en bonne santé, aucune explication n’a été trouvée quant à la raison pour laquelle une déficience à médiation cellulaire favoriserait sélectivement une infection cutanée à HPV. Selon Zavattaro et al,5 une cause possible pourrait être la présence de facteurs génétiques ou environnementaux supplémentaires chez la patiente qui l’ont prédisposée à cette infection particulière.
Tout patient atteint d’EV nécessite une surveillance étroite et à vie pour le cancer de la peau et une éducation concernant l’évitement et la protection stricte du soleil.1 Les options de traitement des lésions comprennent des thérapies topiques avec de l’imiquimod à 5 %, des immunomodulateurs et de l’acide salicylique16,17 ; de l’isotrétinoïne par voie orale18 ; et des combinaisons d’acitrétine et d’interféron alfa.19 Des procédures ablatives physiques ont également été proposées, notamment la cryothérapie à l’azote liquide, l’électrochirurgie, l’excision chirurgicale et les thérapies au laser20.
L’immunothérapie topique avec SADBE a été initialement utilisée pour traiter l’alopécie areata réfractaire et a également été décrite dans le traitement des verrues récalcitrantes.21-24 Historiquement, le 2,4-dinitrochlorobenzène était utilisé pour l’immunothérapie de contact dans la gestion des verrues, mais il est désormais évité en raison de son potentiel mutagène.25 Le dibutylester d’acide squarique et la diphénylcyclopropénone sont actuellement les sensibilisateurs de contact privilégiés, avec un taux de résolution de 60 % rapporté dans les verrues réfractaires.26
L’immunothérapie de contact implique la sensibilisation du patient avec une concentration élevée (2 %) de SADBE sur une petite surface jusqu’à l’apparition d’une dermatite eczémateuse. L’éruption cutanée indique que la sensibilisation a été obtenue, puis un SADBE à plus faible concentration est appliqué sur les verrues. L’observation d’une légère dermatite de contact ne doit pas être une indication pour arrêter le traitement, car cet effet fait partie intégrante de la réponse thérapeutique. Aucun effet secondaire grave n’a été rapporté à SADBE ; érythème, desquamation, œdème, démangeaisons et brûlures ont été décrits.23
Le mécanisme d’action de SADBE n’est pas clair. La théorie la plus souvent proposée est l’induction d’une réaction d’hypersensibilité de type IV dans les verrues, conduisant à leur destruction. D’autres auteurs suggèrent que la résolution des verrues est causée par une réaction inflammatoire non spécifique. Un argument en faveur de cette dernière hypothèse est la régression spontanée de verrues non traitées chez des patients traités par SADBE à distance, suggérant un mécanisme d’action au-delà d’un simple processus à médiation cellulaire.23
L’épidermodysplasie verruciforme doit être incluse dans le diagnostic différentiel pour toute lésion éruptive, verruqueuse, papulaire et de type plaque apparaissant chez des individus immunodéprimés. De plus, le diagnostic de lymphocytopénie idiopathique à cellules T CD4+ doit être envisagé chez tout patient présentant un déficit des CD4 et une infection virale, fongique ou mycobactérienne généralisée avec un test VIH négatif. Une évaluation appropriée du nombre absolu de CD4+ doit également être effectuée. Dans notre cas, on a émis l’hypothèse que la translocation chromosomique équilibrée de la patiente était liée à sa lymphopénie et à son EV, bien que cette corrélation reste à confirmer. Cependant, il est à noter que son fils était porteur de la même translocation et qu’il présente un taux de globules blancs normal et aucun signe de verrues planes. Ce cas démontre le succès de l’immunothérapie de contact dans le traitement de ces lésions répandues et souvent récalcitrantes.