Lorsque les futurs impressionnistes apprenaient leur métier, la peinture de paysage était encore considérée comme moins importante que la représentation de thèmes supposés plus nobles et plus élevés. Il est vrai qu’en 1817, un prix officiel pour la peinture de paysage avait déjà été créé (par le même Valenciennes dont Pissarro admirait le traité) ; mais le titre même du prix – « pour le paysage historique » – laisse entrevoir la barrière des préjugés qui devaient être surmontés avant que la nature puisse être peinte dans son état réel et désordonné plutôt que dans des formes composées et imaginaires. Les traditionalistes pensaient que la nature à l’état brut manquait de ce sentiment de permanence et de noblesse qui ne pouvait lui être conféré que si ses éléments étaient réarrangés pour former un ensemble idéalisé. Ils soutenaient également que le paysage devait être embelli par des figures humaines empruntées à la tradition classique. Les tenants de cette conviction contrôlaient le Salon qui, jusqu’à ce que Courbet et Manet ouvrent leurs propres expositions privées, restait le seul endroit où un jeune peintre pouvait montrer ses œuvres. Le Salon était l’objectif des peintres de Barbizon, comme il l’était pour Corot et les premiers Courbet. Plus tard, Manet conseillait encore à ses amis, y compris aux impressionnistes, d’y exposer, car c’était le seul endroit où ils pouvaient trouver des acheteurs autres que les quelques amateurs amis qui connaissaient déjà leur travail. Le jury des admissions et des prix au Salon était contrôlé par l’Académie des Beaux-Arts. dont les administrateurs contribuaient également à décider des tableaux à acheter pour les musées ainsi que de l’attribution des commandes de décorations murales.
Une fois que l’école de Barbizon, en particulier Rousseau, Daubigny et Millet, eut adopté la peinture en plein air (et Rousseau commença dès 1827), l’anecdotisme déclina et l’illusionnisme, ainsi que l’étude de la lumière, progressèrent rapidement. Rousseau appelle la lumière « le secret de Prométhée » et écrit : « Sans lumière, il n’y a pas de création, tout est chaos, mort ou pédanterie ». Les peintres de Barbizon, comparés aux impressionnistes de la maturité, semblent viser un effet de permanence : leur lumière est tellement moins libre et changeante, tellement plus étroitement liée aux objets représentés. Pourtant, si nous les comparons à la peinture d’une période antérieure, leur lumière est extrêmement variable, et Rousseau et Daubigny ont même peint ce qui était pratiquement une série des mêmes sujets dans différentes conditions de lumière et de temps – anticipant ainsi Monet. Daubigny a souvent été accusé de ne peindre qu’une « impression ». Gautier le lui reproche en 1861 et, dans la phrase suivante, l’accuse en fait d’être un impressionniste à la manière de Monet. Chaque objet se distingue par un contour réel ou apparent, mais les paysages de M. Daubigny n’offrent guère plus qu’une juxtaposition de taches de couleur ». Ainsi, chez les peintres de Barbizon, l’approche visuelle supplante progressivement l’approche structurelle. Les artistes finiront par s’intéresser davantage aux petites taches de peinture qu’à ce qu’elles représentent. Mais Millet, Rousseau et Daubigny n’en sont pas là ; ils ont encore un intérêt plus romantique pour la nature. Comme le disait Rousseau : « J’entends par composition ce qui est en nous et qui entre aussi profondément que possible dans la réalité extérieure des choses ». Les preuves de l’influence des peintres de Barbizon sur les impressionnistes ne manquent pas. Les lettres du jeune Monet à Boudin, écrites de Paris, sont pleines d’éloges à leur égard. Ainsi, en 1859, il déclarait : « Les Troyons sont superbes et pour moi les Daubigny sont vraiment beaux… voilà un type intelligent pour vous qui sait ce qu’il fait et qui comprend la nature… ». Les Corot sont des merveilles absolues. Et un an plus tard, il assiste à une exposition de l’école de 1830 qui prouve « que nous ne sommes pas aussi décadents qu’on le pense » ; après avoir mentionné « le splendide Delacroix », il cite Millet et Corot. Dès 1856, alors qu’il avait très peu d’argent. Monet achète un Daubigny.
Les peintres de Barbizon se développent à une époque où toute une littérature de la vie à la campagne est en vogue. Depuis 1832, George Sand célébrait son Berry natal, que ses amis Rousseau et Dupre aimaient peindre. Puis Pierre Dupont publie un roman, Les Paysans, et un recueil de paroles, Chants Rustiques, et Max Buchon, ami de Courbet, traduit la poésie rurale allemande et recueille les chansons de la campagne française. Le groupe de Barbizon a bénéficié de la révolution de 1848. Louis Blanc et les fouriéristes avaient réclamé un art d’actualité, et après que Charles Blanc fut nommé directeur des beaux-arts, des commissions d’État furent attribuées à Millet, Rousseau, Daubigny et Dupre. Mais la base sociale du conflit entre l’art académique et la peinture réaliste de paysage est soulignée par le comte Nieuwerkerke qui, en tant que surintendant des Beaux-Arts, dirige le mécénat officiel sous le Second Empire ; il dit des peintres de Barbizon : « C’est la peinture des démocrates, de ceux qui ne changent pas de linge et qui veulent se mettre au-dessus des hommes du monde. Cet art me déplaît et me déplaît.
Un autre peintre qui aurait dérangé Nieuwerkerke après 1848 est Gustave Courbet, que le public associe à Barbizon et dont le style doit effectivement quelque chose à Millet et aux tableaux d’Auvergne de Rousseau. Courbet a été plus important pour les impressionnistes en tant que force bruyante et libératrice, un homme qui leur a appris à ne pas craindre les sujets qui semblaient peu prometteurs et désinvoltes, qu’en tant qu’exposant d’une nouvelle technique. Aucun des impressionnistes n’aurait pu ignorer sa déclaration véhémente de principes réalistes dans le Courtier du Dimanche en 1861 : » Je tiens que la peinture est essentiellement un art concret et que les docs ne consistent en rien d’autre que la représentation de choses réelles et concrètes.